J’ai visité fin septembre, pour la première fois, l’abbaye Saint-Martin-du-Canigou.

Le lieu mérite toute sa renommée. Bâtie dans un cadre naturel unique, au bord de précipices, sur le flanc du pic du Canigou, l’abbaye médiévale bénédictine tombée en ruines a été reconstruite au XXe siècle. Aujourd’hui, la Communauté des Béatitudes y prie et reçoit avec cordialité touristes et personnes désireuses de faire une retraite.

J’avais l’intention de voir notamment le curieux chapiteau dit « de Salomé ».

Sculpture romane datant du XIIe ou XIIIe siècle, ce chapiteau historié ne se situe pas à son emplacement d’origine. Pour preuve, l’une des quatre faces a été presque collée à un mur par les restaurateurs, la cachant malheureusement à nos regards.

Le frère qui guidait la visite m’a néanmoins précisé qu’une « danseuse » s’y trouve comme sur les trois autres faces.

Le « chapiteau de Salomé » met donc en scène quatre danseuses. Et non pas une seule, celle, la plus souvent photographiée, à l’origine du surnom, car elle peut évoquer une danseuse orientale lascive brandissant dans chaque main un objet semblable à un cimeterre – sabre propre à décapiter le Baptiste (cf. plusieurs articles sur le blog, consacrés à Hérode, Hérodiade, Salomé et saint Jean-Baptiste).

Les deux autres danseuses visibles sont, disons, plus sages. Ici, point de bayadère lubrique aux seins nus mis en relief ! Elles présentent par ailleurs des caractéristiques originales.

L’une, pourvue d’une abondante chevelure, paraît tenir un objet rectangulaire au-dessus d’elle. Serait-ce le plat destiné à recevoir la tête de Jean-Baptiste ?

La suivante est juchée – pour quelle raison ? – sur le dos d’un chien, alors que les pieds de tous les autres personnages reposent sur l’astragale du chapiteau.

Il existe cependant plusieurs détails communs aux différentes danseuses : traits du visage, posture verticale les bras levés, jupes assez similaires, forme particulière du contour.

Ainsi, Salomé ou pas, la même ballerine – si l’on retient l’hypothèse d’une danse plutôt que d’une invocation – peut avoir été représentée sur les quatre faces du chapiteau.

A chaque angle, nous remarquons la présence d’une figure masculine. Cette disposition tout autour du chapiteau induit une continuité dans l’histoire racontée par l’imagier médiéval.

Deux hommes barbus ayant une coiffure identique se tiennent près de la danseuse aux cimeterres. L’un a les mains tranquillement posées sur les genoux. L’autre, avec un chien à ses pieds qui le regarde la tête en arrière, semble jouer d’un instrument musical difficile à identifier.

Plus curieux, voici un buveur (remarquer la bouteille et la coupe) dont la bouche apparaît démesurément béante. Est-ce un ivrogne qui régurgite, quelqu’un qui hurle ou chante à plein gosier ?

Enfin, un ultime étrange personnage à l’oreille gigantesque, avec les mains peut-être placées de manière équivoque, pourrait appartenir au peuple mythique des Panotéens. Mais ne s’agirait-il pas plutôt d’un simple bon fidèle, le pavillon distendu pour mieux entendre la voix divine ?

Notons encore que, dans un but sans doute décoratif, du plomb fondu a été intégré à certaines sculptures (yeux de deux danseuses, tétons).

Au vu de ces multiples éléments, la lecture du « chapiteau de Salomé » s’avère délicate. Plusieurs interprétations sont possibles. On retiendra certes davantage un sujet religieux : la danse de Salomé lors du Banquet d’Hérode, ou plus généralement la dénonciation du péché de luxure, avec une mise en garde contre les effets pernicieux de la danse, de la musique et de la boisson. Vilaine tentatrice, dangereuse castratrice (cf. les cimeterres), la séduisante « Salomé », la femme sensuelle, serait une incarnation diabolique.

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Vue sur l’abbaye Saint-Martin-du-Canigou. (Photo : Michel Bessone)
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Jardin du cloître de l’abbaye. (Photo : Michel Bessone)
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Face du chapiteau avec la « danseuse aux cimeterres ». (Photo : Michel Bessone)
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La « danseuse aux cimeterres » (détail). (Photo : Michel Bessone)
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Face du chapiteau avec la « danseuse au plateau ». (Photo : Michel Bessone)
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Le « Panotéen ». (Photo : Michel Bessone)
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Face du chapiteau avec la « danseuse au chien ». (Photo : Michel Bessone)
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La « danseuse au chien » (détail). (Photo : Michel Bessone)
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L’ « ivrogne ». (Photo : Michel Bessone)