Dans un passé relativement récent, cette affaire criminelle a marqué l’histoire de la vallée d’Aure.

Les circonstances du meurtre et l’épilogue judiciaire sont aujourd’hui très méconnus. En cause, notamment, la frilosité de la presse écrite locale ou régionale de l’époque.

La réalité a été beaucoup déformée dans la mémoire collective. Au gré de la rumeur et des accointances.

Trois articles rappelleront sur le blog les points essentiels de ce qui est bien plus qu’un odieux fait-divers.

La victime : une brave femme

En 1945, Célestine Léontine Tissier avait environ 65 ans (elle était née en 1880 ou 1882 selon les sources – à relever qu’aucun acte de décès ne se trouve dans les registres de Saint-Lary, Estensan, Sailhan, Tramezaïgues) et était déjà plusieurs fois grand-mère.

Elle habitait Estensan, petit village de la haute vallée d’Aure où tout le monde la connaissait sous le nom du père de ses enfants.

Après le décès de celui-ci, Ambroise Soulans, en janvier 1941, Célestine continuait à gérer l’hospice de Rioumajou dont ils avaient été les tenanciers ensemble.

Durant la Seconde Guerre mondiale, la vallée du Rioumajou fut, on le sait, un lieu de passage pour franchir clandestinement les Pyrénées (« évasions par l’Espagne »).

Courageuse, patriote, la tenancière de l’hospice aidait alors régulièrement les passeurs en signalant au moyen d’un code original la présence ou non d’Allemands dans les parages. A tel endroit convenu, à côté de la bâtisse, elle suspendait ou retirait du linge mis à sécher, ce qui permettait d’alerter de loin les passeurs.

Je reprends les termes utilisés par des personnes – témoins directs, proches, de la famille ou pas – qui l’ont connue à la sombre époque de l’Occupation : Célestine Tissier était vraiment une « brave femme ».

Attaque de l’hospice de Rioumajou dans la nuit du 4 au 5 juillet 1945

Fait assez exceptionnel, le mercredi 4 juillet 1945, en fin de journée, il n’y avait à l’hospice que la gérante et Joseph F., le domestique, un jeune berger d’origine espagnole.

L’hospice est  – pur hasard ? – attaqué cette nuit-là.

Les malfaiteurs admettront eux-mêmes par la suite qu’ils ont agi de concert, de nuit, à plusieurs, et armés.

Des coups de feu sont tirés, échangés, car la gérante et le domestique, barricadés à l’intérieur, ripostent pour se défendre.

Bien que blessé, Joseph parvient miraculeusement à s’enfuir.

Pendant des années, on a pu voir en plein sur la porte de l’ancien hospice de Rioumajou l’impact très net d’une balle datant de cette nuit dramatique et attestant l’existence de l’agression extérieure.

Un meurtre crapuleux précédé d’actes de tortures

Célestine Tissier est maintenant seule. Les bandits ont réussi à pénétrer dans le bâtiment.

Ils torturent la victime avec sadisme – elle sera découverte plus tard les mains affreusement mutilées.

La bande veut faire parler la pauvre femme, savoir où elle a caché ses économies.

Puis les bourreaux abattent la malheureuse (Célestine est tuée d’une balle de carabine d’un diamètre de 5,5 mm, rapporte la presse du 11 juillet 1945).

L’argent se trouvait réparti dans des pots au-dessus de la cheminée…

Le corps de la victime a été ensuite dissimulé sous un tas de fumier

Les assassins pourraient s’enfuir tout de suite, mais ils ne le font pas. Ils veulent auparavant faire disparaître le cadavre de leur victime, masquer le crime.

Sans doute cherchent-ils à gagner du temps et compliquer la tâche future des enquêteurs.

Plutôt que de creuser la terre quelque part, ils enfouissent la dépouille sous un tas de fumier proche de l’hospice. C’est plus facile. Ils n’ont aucun respect pour le corps de la victime. Peut-être pensent-ils aussi que cela aidera à faire disparaître les traces de tortures.

L’arrestation des coupables

Prévenue de l’attaque par le domestique rescapé, la famille de la victime – Barthélemy (son frère, Louis, était le gendre de Célestine) – arrive sur place.

On constate un grand désordre à l’intérieur de l’hospice. Tout a été remué, fouillé. Les pots au-dessus de la cheminée sont vides. Mais la tenancière demeure introuvable.

Ce n’est qu’en cherchant, et cherchant encore, que le cadavre de la malheureuse est découvert.

La gendarmerie de Saint-Lary, le parquet et la police secrète se transportent sur les lieux.

Le jeune berger – coupable idéal – est d’abord accusé. Néanmoins, pareil scénario ne tient pas, et Joseph lui-même porte plainte pour tentative d’assassinat après avoir expliqué qu’il s’est défendu contre les agresseurs à l’aide d’un revolver.

L’enquête avance.

Quatre individus sont identifiés et interpellés.

Un butin s’élevant à 12 000 francs a été réparti à parts égales entre-eux (les enquêteurs ont d’abord cru que 40 000 francs avaient été dérobés).

Meurtre, tortures ou actes de barbarie, vol qualifié (multiples circonstances aggravantes) : les malfaiteurs risquent très gros…

En vertu des articles 303, 304 et 381 du Code pénal, ils sont passibles de la cour d’assises et encourent à différents titres la peine de mort.

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Crête frontalière du Rioumajou… enfin l’Espagne ! Célestine Tissier aidait à la réussite des évasions. (Photo : Michel Bessone)