L’expression « nuits russelliennes » est attachée au comte Henry Russell-Killough (1834-1909), personnage culte du pyrénéisme.
Elle a fait l’objet d’un excellent article de la revue Pyrénées (n° 99, juillet-septembre 1974) signé Gérard Raynaud.
Que doit-on entendre par ces deux mots juxtaposés ?
D’abord, il s’agit du vécu propre de Russell, des séjours du « Robinson des neiges » sur les sommets, y passant la nuit à la belle étoile, sous un rocher ou dans une de ses grottes du Vignemale.
Par extension, les nuits russelliennes correspondent à des bivouacs contemplatifs en altitude, totalement volontaires et recherchés comme une aventure en soi. La motivation peut être esthétique, poétique, morale, mystique. Un bon sommeil n’est pas une priorité, on est là avant tout pour jouir du spectacle merveilleux de la montagne la nuit, au crépuscule, et à l’aurore. A l’exemple de Russell…
Extraits de l’ouvrage « Souvenirs d’un Montagnard » (Pau, 1908), écrit par le comte Henry Russell
« Quel peintre pourra jamais mettre sur une toile, traduire par la couleur, les lueurs mourantes, la tristesse infinie, et la gloire dont se couvre la nature à la fin d’un beau jour, sur ces sommets vertigineux où l’homme est entouré d’une telle immensité, se trouve si haut, et voit si loin, qu’il lui semble être sorti du monde, et dominer un hémisphère ? Quel écrivain saurait décrire ce qui se passe alors dans l’âme qui sait encore sentir ? Elle se recueille comme la nature, elle s’illumine et se passionne ; les nuages dorés qui s’assoupissent à l’horizon la font rêver aux séraphins prosternés devant Dieu, et dans chaque brise qui passe, elle croit entendre un chant du ciel égaré sur la terre. »
« Chacun a sa manière d’étudier, de gravir, et d’aimer les montagnes. Pour moi, mes goûts n’ont pas changé ; […] ma joie suprême consiste à faire de longs séjours bien à mon aise à de grandes altitudes, à y coucher par de belles nuits, et à rêver aux misères de la plaine, à ses brouillards et à ses miasmes, sur des glaciers immaculés, sur des neiges virginales et dorées, où se promène solennellement la lune. Je n’y regrette aucune des inventions humaines qui font veiller, vieillir et quelquefois pleurer. Je suis heureux sans elles : car les tempêtes de l’Opéra ne valent pas celles du Grand-Vignemale, le gaz est moins sublime que les éclairs, et entre les joies artificielles et celle d’être libre et bien portant au sommet des montagnes, il y a toute la distance qui sépare le plaisir du bonheur. »