« La nuit tombe. Le froid devient vif. C’est l’heure où, la bataille finie, les blessés qu’on n’a pas encore relevés crient leur souffrance et leur détresse. Et ces appels, ces plaintes, ces gémissements sont un supplice pour tous ceux qui les entendent ; supplice cruel surtout aux combattants qu’une consigne rive à leur poste, qui voudraient courir vers les camarades pantelants, les panser, les réconforter, et qui ne le peuvent, et qui restent là sans bouger, le coeur serré, les nerfs malades, tressaillant aux appels éperdus que la nuit jette vers eux, sans trêve :
« A boire !
– Est-ce qu’on va me laisser mourir là ?
– Brancardiers !
– A boire !
– Ah !
– Brancardiers !… »
J’entends de mes soldats qui disent :
« Oui, qu’est-ce qu’ils foutent, les brancardiers ?
– Ils ne savent que se planquer, ces cochons-là !
– C’est comme les flics ; on n’les voit jamais quand on a besoin d’eux. »
Et devant nous la plaine entière engourdie d’ombre semble gémir de toutes ces plaies, qui saignent et ne sont point pansées.
Des voix douces, lasses d’avoir tant crié :
« Qu’est-ce que j’ai fait, moi pour qu’on me fasse tuer à la guerre ?
– Maman ! Oh ! Maman !
– Jeanne, petite Jeanne… Oh ! dis que tu m’entends, ma Jeanne ?
– J’ai soif… j’ai soif… j’ai soif… j’ai soif !… »
Des voix révoltées, qui soufflettent et brûlent :
« Je ne veux pourtant pas crever là, bon Dieu !
– Les brancardiers, les brancardiers !… Brancardiers ! Ah ! salauds !
– Il n’y a donc pas de pitié pour ceux qui clamecent ! »
Un Allemand (il ne doit pas être à plus de vingt mètres) clame le même appel, interminablement :
« Kamerad Franzose ! Kamerad ! Kamerad ! Kamerad Franzose ! »
Et plus bas, suppliant :
« Hilfe ! Hilfe ! »
Sa voix fléchit, se brise dans un chevrotement d’enfant qui pleure ; puis ses dents crissent atrocement ; puis il pousse à la nuit une plainte bestiale et longue, pareille à l’aboi désespéré d’un chien qui hurle vers la lune. » (Maurice Genevoix, Sous Verdun)













Abominable cette longue liste de disparus, des deux derniers articles « Grande Guerre »(6 et 7) concernant un si petit village !
Même presque 100 ans après, quand on lit sur le Monument Aux Morts ou sur les plaques à l’intérieur de l’église, les noms de deux cousins, de deux frères et souvent du père aussi, cela fait froid dans le dos… et quand en plus on connait les familles… vraiment on pense : « PLUS JAMAIS CA ».
Et je voudrais ajouter… Hélas ! cela ne sert pas de leçon…