Je reprends ici la suite d’un premier article mis en ligne il y a plusieurs mois, et dont j’ai aujourd’hui, au regard de nouvelles informations, légèrement remanié le texte.

Une affaire criminelle hors normes, que l’on a voulu étouffer

Grâce au travail de l’enquête, les auteurs de l’assassinat de Célestine Tissier sont donc identifiés et interpellés.

La bande de tueurs se présente alors comme une « patrouille FFI en mission ».

Ils pourraient peut-être chercher à se défendre en arguant qu’ils ont simplement liquidé, certes extrajudiciairement, une collaborationniste ou collaboratrice (à l’époque de l’Epuration, on le sait, la justice française, lorsqu’elle se décidait à poursuivre des auteurs d’exactions même les plus graves à l’encontre de « collabos » réels ou supposés, ne se montrait guère trop regardante).

Or, les assassins ne le font pas, et pour cause, car personne ne les prendrait au sérieux.

En effet, plusieurs points s’opposent totalement à une version pareille. Par exemple :

– Célestine Tissier n’était pas une « collabo ». Aucune preuve n’a jamais été établie ni même rapportée à son encontre pour le moindre fait de coopération avec l’occupant nazi ou le régime de Vichy. Bien au contraire, son aide aux passeurs est attestée par de multiples témoignages, et tous les gens qui l’ont connue l’ont décrite comme une brave femme.

– Lorsque le crime est perpétré début juillet 1945, la guerre est finie en Europe, et cela fait bientôt un an que le département a été libéré (fête de la libération de Tarbes et des Hautes-Pyrénées le 24 août 1944) !

Un « collabo » a été abattu, mitraillé, en vallée d’Aure, à Guchen, le 26 juillet 1944. Depuis, il y a eu d’autres meurtres non élucidés – notamment, dans le Rioumajou, celui du célèbre passeur Angel Moliner – mais nul n’est dupe, il s’agit à chaque fois d’un crime crapuleux ou de règlement de compte personnel n’ayant rien à voir avec la collaboration/ la Résistance.

– Les FFI n’avaient aucune existence légale, en particulier pour commettre une exécution sommaire, au mois de juillet 1945. Rappelons que les FFI ont été dissoutes par décret du 23 septembre 1944 et incorporées dans l’armée régulière.

Les accusés vont donc plaider une autre histoire, susceptible de les faire échapper à une très lourde condamnation.

Ils allèguent qu’ils étaient en service commandé pour rechercher d’éventuels criminels de guerre essayant de gagner l’Espagne. Au milieu de la nuit, ils auraient voulu vérifier si l’hospice de Rioumajou n’abritait pas des criminels de guerre. La tenancière de l’hospice ayant refusé de leur ouvrir la porte, et étant même accueillis par des tirs, ils auraient été contraints d’user de la force. C’est alors que Célestine Tissier aurait reçu une balle.

Cette hypothèse a priori plausible, au moins en partie (faisons une remarque : dans ce scénario, la tenancière, qui a gardé la porte close, a pu penser avoir affaire à des voleurs… ce qui s’est avéré très exactement le cas !), ne répond néanmoins absolument pas aux questions les plus graves.

Quid des tortures et des mutilations qui ont précédé la mise à mort par balle ? La victime n’est-elle pas une dame âgée, attaquée de nuit chez elle ? Toutes ses économies volées et puis réparties entre la bande ? Et le manque absolu de respect dû à l’être humain, en enfouissant la dépouille sous un tas de fumier ? Et la fuite précipitée des lieux du crime ?

Aidés par des réseaux, de puissantes relations, qui souhaitent étouffer l’affaire au plus tôt, ils n’ont face à eux que la famille de la victime, c’est-à-dire de petites gens complètement dépassées par le drame, choquées et ne bénéficiant d’aucun soutien auprès des notables de la vallée d’Aure.

Vu les éléments établis par l’enquête, et malgré les intimidations, la justice conduit l’affaire jusqu’à un procès, qui se tient à Bordeaux en 1952.

Mais le tribunal militaire permanent ne retiendra qu’une seule chose à l’issue des débats : la prétendue mission en service commandé, fait justificatif pourtant extrêmement discutable en l’espèce, et il décidera d’acquitter les tueurs.

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Entrefilet dans la presse du 11 juillet 1945. (Photo : Michel Bessone)