La légende d’Hérodiade hantant les parages du lac d’Aubert est connue de longue date en vallée d’Aure.

Je rapporte ici la version recueillie sur place en 1824 par Du Mège, et que l’on trouve dans des passages différents d’Archéologie pyrénéenne (T. II, Toulouse, Delboy, 1860).

« Les fées d’Ancizan étaient en possession de cette petite mer, suspendue aux flancs escarpés des montagnes des Bigerrones ; elles la parcouraient dans une nacelle dorée, dont la voile avait emprunté à la pourpre son éclatante couleur. Des vêtements légers couvraient leurs formes sans en déguiser les contours gracieux. Elles chantaient, en traversant les flots azurés du lac. Hérodiade parcourait alors les monts du Néouvielle ; elle aperçut l’élégante gondole des fées, et elle vint leur demander de s’y asseoir près d’elles. Sa taille est gigantesque, ses traits inspirent l’effroi. Un refus excita sa colère. Elle arracha d’énormes blocs de granit des montagnes voisines et les lança dans le lac où on les voit encore. La nef fut engloutie par les flots soulevés ; mais Hérodiade ne put atteindre les fées, qui transformées en biches aux pieds rapides, furent chercher un asile dans les vastes grottes de Tibiran. »

Hérodiade apparaît comme une géante dont la figure effraie. Alors que les deux personnages sont parfois mélangés, confondus, au bord du lac d’Aubert (Du Mège écrit « Overt »), c’est plutôt Hérodiade et non pas la belle et gracieuse Salomé qui se manifeste.

Les « biches aux pieds rapides » correspondent certainement à des isards. Il est plus difficile de comprendre les rapports géographiques : Ancizan, Tibiran.

J’ai discuté un jour de la légende avec un « ancien », un berger de Soulan qui connaît à la perfection le secteur. Il se souvenait qu’enfant on lui avait raconté une histoire étrange au sujet de l’île du lac d’Aubert. Une femme aurait autrefois été sauvée grâce à cette île.

D’après les Evangiles, qui parlent de la mort de Jean le Baptiste (Matthieu 14.1-12 ; Marc 6.14-29. Voir aussi Luc 3.19-20 et 9.7-9), Hérodiade est l’instigatrice cruelle d’un véritable assassinat. La scène fortement morbide du Banquet d’Hérode reste célèbre dans l’imagerie européenne. Saint Jérôme précisant qu’Hérodiade perça la langue de Jean – qui avait dénoncé son union, interdite par la loi, avec Hérode Antipas – à l’aide du poinçon de sa coiffure frivole.

Pour expier le crime, damnée jusqu’à la fin des temps, Hérodiade doit, selon la tradition, errer dans les airs, la nuit, ou le jour par brouillard. Cherchant à entraîner des jeunes femmes au sabbat… Voilà une figure classique et terrifiante de la chasse sauvage.

Que le fantôme d’Hérodiade fréquente volontiers les rives du lac d’Aubert n’a rien de surprenant. En Comminges (la vallée d’Aure faisait partie, jusqu’à la Révolution, du diocèse de Comminges) et en Couserans, associée à Diane (la « déesse des païens ») et Bensozia, Hérodiade déambule jamais loin de Lugdunum, cité gallo-romaine de son triste exil

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La « reine » Hérodiade tenant un glaive et la tête de saint Jean-Baptiste (cf. Judith et Holopherne ?). Fresque (XVIe siècle) de l’église de Benqué-Dessous (Luchonnais). (Photo : Michel Bessone)
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Hérodiade [assise sur un trône, Salomé devant elle], Henri-Léopold Lévy. (Musée des Beaux-Arts, Brest)
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L’île du lac d’Aubert. (Photo : Michel Bessone)